Terra Eco | 11-06-2012
Pierre Chaigneau est professeur de finance à HEC Montréal et président du think tank Eclairages économiques.
Terra eco : Faut-il encadrer les rémunérations ?
Pierre Chaigneau : Il y a une première perspective assez morale et subjective sur cette question. Mais si on prend la perspective économique, il faut se demander pourquoi de tels salaires sont versés. Une étude d’Augustin Landier et Xavier Gabaixfait autorité dans le domaine. Elle s’appuie sur des données américaines mais est transposable à la France. Les chercheurs y montrent que la taille des entreprises a été multipliée par six en vingt ans (de 1980 à 2003, ndlr). Or, si un dirigeant fait accroître de 5% la valeur de son entreprise au capital de 300 millions d’euros, ce n’est pas la même chose que s’il fait progresser de 5% une entreprise au capital de 50 millions d’euros. La croissance des entreprises a fait augmenter le prix du talent. C’est pour ça que les entreprises sont prêtes à payer davantage leurs dirigeants. C’est un peu comme dans le football, plus le spectacle est vu par un grand nombre de personnes, plus il y a de recettes publicitaires, plus les clubs vont dépenser d’argent pour s’attirer des stars.
Que risque-t-il de se passer si on encadre les salaires des patrons ?
Si la France prend de telles mesures, cela aura des conséquences en terme d’attractivité, de rétention des talents. Et pas seulement sur les dirigeants, sur les jeunes de Polytechnique, d’HEC qui risquent d’être moins tentés par une carrière chez EDF s’ils savent que leurs perspectives sont limitées. Si on limite les salaires des dirigeants, on limite la carotte pour les salariés talentueux.
Mais aujourd’hui aucun pédégé du CAC n’a été débauché à l’étranger…
Non, parce qu’actuellement les pédégés sont bien rémunérés en France. Ils n’ont pas intérêt à partir. En revanche, s’il y a un encadrement, les entreprises risquent de délocaliser leur siège social. Parce que la mesure ne concernera pas seulement les dirigeants mais aussi les jeunes talents… La décision d’encadrer les salaires répond à une demande des électeurs. Cela se justifie politiquement parlant mais je suis assez dubitatif économiquement parlant.
Si on va au-delà des simples salaires, que pensez-vous des parachutes dorés ? Des retraites chapeaux ? Faut-il les supprimer ?
Il faut se demander pourquoi on a mis en place de tels mécanismes dans les entreprises. Dans certains cas, c’est que les dirigeants ont trop de pouvoir, ils ne sont pas assez contrôlés par le conseil d’administration et peuvent s’octroyer beaucoup d’avantages. Dans ce cas, la gouvernance est assez défaillante, il faut la revoir. Mais quand la gouvernance fonctionne bien dans une entreprise, pourquoi de tels avantages ont-ils été mis en place ? Si l’on prend le cas de la retraite chapeau, c’est un outil de rétention. Si un pédégé part prématurément ou est licencié pour mauvaise performance, le montant de cette retraite diminue généralement. Idem pour les stock-options.
N’est-ce pas malgré tout étrange de continuer à payer quelqu’un pour une fonction qu’il n’exerce plus et alors qu’il n’a pas atteint l’âge de la retraite ?
Dans une publication, Alex Edmans et Qi Liu étudient le cas d’une rémunération liée à la performance mais versée dans le futur. C’est le cas de la retraite chapeau qui n’est versée que dans la mesure où l’entreprise existe encore. Selon eux, c’est un moyen d’inciter le dirigeant, pendant son mandat, à prendre des mesures pour assurer la pérennité de son entreprise. Il s’agit de lier l’intérêt du dirigeant à l’entreprise et d’éviter les vues court-termistes.
Et les parachutes dorés ?
Ils peuvent être vus comme immoraux. Mais si on veut convaincre quelqu’un de devenir pédégé, c’est-à-dire d’accepter un poste risqué dont il peut être débarqué à tout moment, lui accorder un parachute doré c’est lui dire que si les choses se passent mal, il n’aura pas tout perdu. C’est aussi une manière de faciliter les fusions-acquisitions. A priori, le dirigeant d’une entreprise n’a aucun intérêt à ce qu’elle soit rachetée. Si elle l’est, il risque le licenciement. Mais s’il a un parachute doré à la sortie, il y a moins de chance qu’il s’oppose et tente de faire capoter l’opération.
Vous revenez souvent à la gouvernance. Beaucoup disent qu’il y a une collusion, une entente entre les patrons et la classe politique qui conduit aux versements de gros salaires… Est-ce vrai ?
C’est une critique légitime. S’il y a une mesure à prendre c’est bien celle de réformer la gouvernance. Agir là-dessus, c’est agir sur la cause du problème alors que les rémunérations importantes n’en sont qu’un symptôme.
Mais comment faire ?
La recherche académique a montré que la gouvernance est meilleure avec des conseils d’administration petits, constitués de 7 à 8 personnes. A trente personnes, le contrôle n’est pas efficace, le dirigeant peut facilement faire ce qu’il veut. Il faut aussi que le conseil d’administration inclut une forte proportion de personnes indépendantes. Le problème, c’est qu’on fait souvent appel à des gens qui connaissent bien l’industrie, c’est donc rare qu’ils n’aient pas un quelconque lien avec le secteur. Un autre moyen d’améliorer la gouvernance – qui a été adopté aux Etats-Unis et en Grande Bretagne – c’est d’introduire un vote « say on pay », c’est-à-dire de donner le droit aux actionnaires en assemblée générale d’émettre un vote consultatif sur la rémunération des dirigeants. Cela a donné des résultats plutôt concluants. En Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, des actionnaires ont émis des réserves sur la rémunération de tel ou tel dirigeant et les entreprises ont revu leur copie.
Article original sur le site de Terra Eco.