El País | 15 février 2012
Fuyant le chômage, des centaines d’Espagnols émigrent vers une Norvège idéalisée dans l’espoir de trouver du travail. En réalité, peu d’entre eux s’en sortent : dans la plupart des cas, ils se sont heurtés au chômage, au froid et au désespoir. Reportage d’El País dans la ville de Bergen. Extraits.
“Je ne recevais plus aucune aide depuis longtemps. Mes parents, qui sont âgés, payaient depuis plusieurs mois les 540 euros de mon crédit immobilier. Je me rappelle que j’étais dans un bar avec une télé dans un coin. Un reportage parlait des Espagnols dans le monde : un homme installé dans le nord de la Norvège était interviewé et affirmait gagner 4 000 euros. Ça avait l’air de lui convenir. A ce moment, je me suis dit : Paco, voilà où il faut que tu ailles.”
Francisco Zamora, 44 ans, est un homme calme originaire d’Alcantarilla (Murcie). Pour se protéger du froid, il a enroulé son écharpe trois fois autour de son cou. Il a un diplôme d’électronique, il a travaillé dans le bâtiment et dans des usines, et gagnait, fut un temps, 3 000 euros par mois. Cette époque est maintenant révolue depuis trois ans.
Tout comme lui, des centaines d’Espagnols au chômage depuis des mois ont quitté une Espagne en crise et ont mis le cap sur l’un des pays les plus riches au monde, une solution qui semblait infaillible. Une fois sur place, le mythe s’est vite effondré. Les portes ne s’ouvrent pas à ceux qui n’ont pas assez de qualifications et ne maîtrisent aucune langue étrangère.
Une vague de migrants espagnols
Les autorités norvégiennes ne veulent rien savoir de ces nouveaux arrivants. Certains ont dépensé toutes leurs économies et survivent tant bien que mal, parfois dans la rue. En août 2011, Paco a de nouveau emprunté de l’argent à ses parents et a acheté un aller simple pour Bergen [la 2e ville du pays]. C’était la première fois qu’il quittait l’Espagne. Il est arrivé avec 225 euros en poche.
Les premiers jours, il a parcouru l’une des villes les plus pittoresques au monde. “J’avais un petit sac à dos que je laissais à la consigne de la gare. Pour cinq couronnes (0,75 euros), je pouvais utiliser les toilettes et me laver. Un jour, j’ai croisé un autre Espagnol qui m’a parlé d’un foyer où l’on pouvait aller dans la journée pour manger et être au chaud.”
La Fondation Robin Hood occupe deux étages d’une maison en bois, dans le centre de Bergen. Le foyer a ouvert en 2003, “avec l’objectif d’héberger les familles norvégiennes les plus pauvres, incapables de payer quatre euros pour un café”, explique Wenche Berg Husebo, présidente de cette organisation privée (financée par l’Etat à hauteur de 270 000 euros).
On est mercredi matin et à Robin Hood, on entend surtout parler espagnol. Soixante à cent personnes passent quotidiennement dans les locaux. Selon Marcos Amano, le directeur, la moitié d’entre elles sont des Espagnols.
“Avant, on voyait des Norvégiens, des Polonais, quelques familles de réfugiés politiques… mais depuis mars dernier, des Espagnols ont commencé à arriver,affirme Wenche Berg Husebo. Depuis début février, on en a vu 250. Au début, c’était des hommes de tous âges, puis sont arrivées les femmes célibataires dans la trentaine. Et après, les pères de famille, parfois accompagnés de leurs enfants. Pour la plupart, ils ne trouvent pas de travail car ils ne parlent ni le norvégien ni l’anglais.”
Grâce au pétrole, à l’Etat-providence enviable, aux politiques de conciliation et, surtout, aux salaires élevés et au taux de chômage extrêmement bas (3 %), la Norvège séduit : depuis quelques mois, le pays accueille un nouveau genre d’immigrant, les Espagnols qui sont partis à cause du chômage de longue durée et de la baisse progressive des salaires. Les journaux norvégiens les ont baptisés “les travailleurs-réfugiés de l’euro”.
Le froid, la langue et la cherté de la vie
La prospérité norvégienne associée aux documentaires sur les Espagnols dans le monde (nombreux sont ceux qui citent ces programmes lorsqu’on leur demande pourquoi ils ont choisi ce pays, les trois dernières émissions consacrées à la Norvège ont été regardées par 2,8 millions à 3,5 millions de téléspectateurs) persuadent de plus en plus d’Espagnols (à l’Ambassade d’Espagne, le nombre d’inscrits est passé de 358 en 2010 à 513 en 2011, bien que beaucoup de personnes ne se déclarent pas).
Une fois arrivés sur place, toutefois, les citoyens de la péninsule Ibérique se heurtent à trois obstacles infranchissables : le froid polaire, la langue et des prix exorbitants (louer une chambre coûte 600 euros, une brique de lait, deux euros).
Même si la Norvège refuse d’intégrer l’Union européenne, elle a signé l’Accord de Schengen, ce qui permet aux citoyens européens d’y entrer librement. Cependant, le pays manque d’infrastructures publiques permettant de soutenir ceux qui atterrissent là complètement démunis.
“Le gouvernement ne propose ni logement, ni argent, ni aides. Ces questions restent à la charge de Caritas, de la Croix-Rouge et de l’Armée du Salut”,explique Bernt Gulbrandsen, qui travaille pour Caritas Oslo.
Les médias locaux ont rapidement commencé à parler de ces nouveaux immigrants. Dans un pays qui compte à peine cinq millions d’habitants, la nouvelle n’est pas passée inaperçue.
A Bergen (260 000 habitants), une ville prospère où il n’y a quasiment aucun sans-abri, les journaux et les chaînes de télévision leur ont consacré plusieurs reportages. “Ils ont fui la crise espagnole, mais la vie à Bergen n’est pas conforme à ce qu’ils s’étaient imaginé,” titre un journal. “De nombreux réfugiés de l’euro vivent dans la pauvreté à Bergen”, peut-on lire ailleurs.
“C’est la première fois que je suis confrontée à une situation aussi angoissante en Norvège, confie Astrid Dalehaug Norheim, l’une des journalistes qui a couvert le sujet pour le quotidien Vårt Land. Je me souviens être allée à Moscou pendant la crise de la fin des années 1990, quand les Russes des zones rurales ont commencé à émigrer vers les villes pour trouver du travail, pour finir ruinés dans des foyers.”
Le témoignage de Tuna, qui travaille pour l’antenne de la Croix-Rouge à Bergen, nous en dit plus sur la façon dont certains Norvégiens vivent cette nouvelle situation : “Avant, c’était surtout des Polonais qui venaient ici, mais tout à coup, des Espagnols ont commencé à arriver. Ils n’ont pas de quoi manger et n’ont pas de travail. Ils demandent notre aide. Il existe bien des aides pour les réfugiés politiques, mais pas pour les personnes qui viennent ici de leur plein gré.”