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Par Angela Bolis
Les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent. Le constat n’est pas nouveau. Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publié mercredi 15 mai, vient sans grande surprise le confirmer, en démontrant que la pauvreté et les inégalités salariales se sont accentuées dans trois quarts des trente pays de l’OCDE au cours des vingt dernières années. Avec toutefois une nuance : la « progression » n’est pas « aussi spectaculaire qu’on le pense généralement »,et permet encore moins « de parler d’un éclatement de la société ».
Cette hausse des inégalités aurait pu être pire si les pouvoirs publics ne les avaient pas contrebalancées par l’Etat-providence, et des dépenses de politiques sociales qui n’ont jamais été aussi élevées qu’aujourd’hui dans les pays de l’OCDE. La tendance actuelle à l’austérité pourrait néanmoins changer la donne, prévient l’organisation : si les gouvernements « ne dépensent plus autant en prestations sociales ou ne ciblent plus aussi étroitement la fiscalité et les transferts sur les personnes aux revenus les plus faibles, alors les inégalités augmenteront beaucoup plus rapidement ».
- Des inégalités de salaires accrues depuis la crise
Si cela fait vingt ans que les inégalités de salaire se creusent, la tendance s’est largement accélérée avec la crise économique : l’écart s’est davantage accru entre 2008 et 2010 que pendant les douze années précédentes. En 2010, le revenu des 10 % les plus riches était 9,5 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres.
Ces disparités s’expliquent surtout par l’envolée des hauts salaires, qui ont accentué leur avance sur les autres. En parallèle, les personnes qui ont un faible niveau d’éducation trouvent de moins en moins de travail, et les revenus des ménages les plus pauvres ont diminué, ou moins augmenté, par rapport à ceux des plus riches.
- Les inégalités augmentent en Allemagne, baissent en France
Cette hausse des inégalités salariales s’observe tout particulièrement au Canada, en Allemagne, en Norvège ou encore aux Etats-Unis. Tout comme le Mexique, la Grèce ou le Royaume-Uni, la France se démarque, se plaçant du côté de la poignée de pays de l’OCDE qui voient leurs inégalités décroître depuis deux décennies. Au-delà de ces évolutions, les inégalités de salaire sont les plus fortes au Chili, au Mexique, aux Etats-Unis, en Turquie et en Israël, et les plus faibles en Islande, en Slovénie, en Norvège et au Danemark.
En France, si le salaire annuel des plus riches et des classes moyennes se situe dans la moyenne de l’OCDE, celui des plus pauvres (6 967 euros par an) plane 25 % au-dessus. A contre-courant des autres pays de l’OCDE aussi, le taux d’emploi des moins scolarisés a augmenté.
L’Allemagne affiche quant à elle un tableau plus sombre, avec une hausse des inégalités de revenu particulièrement forte à partir de l’an 2000. Outre-Rhin, il y a davantage de jeunes et d’adultes pauvres aujourd’hui qu’en 1985 – même si cette pauvreté dure généralement moins de trois ans. « Les services publics en matière de santé, d’éducation et de logements sociaux ont globalement réduit les inégalités de revenu, mais moins que dans d’autres pays », analyse l’OCDE.
- Les enfants et les jeunes s’appauvrissent, pas les seniors
Entre 2007 et 2010, le taux de pauvreté monétaire dans l’OCDE est passé de 13 à 14 % chez les enfants, et de 12 à 14 % chez les jeunes (le taux de pauvreté monétaire mesure la proportion de personnes ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, soit 60 % du niveau de vie médian, celui-ci étant le revenu net en deçà duquel se situe la moitié de la population en Métropole).
En Turquie, en Espagne ou en Belgique, la pauvreté des enfants a même augmenté de deux points. En 2005, un enfant sur huit vivait dans la pauvreté dans les pays de l’Organisation. « Pourtant, on est de plus en plus conscient que le bien-être des enfants est un déterminant clé de la vie qu’ils auront à l’âge adulte – cela influe sur leur niveau de revenu, sur leur état de santé, etc. », note l’OCDE. D’autant que plus les inégalités sont fortes, plus la mobilité sociale est en panne, empêchant donc les jeunes issus de ménages défavorisés de s’en sortir mieux que leurs parents.
Chez les personnes âgées en revanche, la pauvreté a reculé, passant de 15 à 12 %. Elle a même été divisée par deux chez les 51-56 ans. Et ce sont les revenus des 55-75 ans qui ont le plus augmenté ces vingt dernières années. La crise aurait en effet, explique l’OCDE, davantage exposé les ménages actifs, tandis que les retraités bénéficiaient le plus souvent d’une protection sociale.
- En cause : Internet, syndicats et structure familiale…
Si le monde semble de plus en plus inégal, « la mondialisation n’explique sans doute pas tout », note l’OCDE, qui avance plusieurs facteurs. Internet par exemple : l’écart entre ceux qui savent l’exploiter et les autres a introduit un « biais technologique », qui défavorise ceux qui n’ont pas ces compétences. L’affaiblissement des syndicats, aussi, a pu priver les travailleurs de la protection dont ils bénéficiaient auparavant.
La structure familiale, par ailleurs, est déterminante dans la hausse des inégalités, avec en première ligne le nombre grandissant de ménages comptant un seul adulte. « Les événements familiaux (divorce, naissance, etc.) jouent un rôle très important dans les situations de pauvreté temporaire, tandis que la réduction des revenus de transfert [prestations sociales, allocations chômage, prestations de sécurité sociale] – à la suite, par exemple, d’un changement dans les conditions ouvrant droit aux prestations – joue un plus grand rôle dans les situations de pauvreté pendant deux années consécutives », explique encore l’OCDE.
- … mais l’emploi avant tout
La cause première des inégalités est avant tout liée à l’emploi, ou plutôt à la hausse du chômage. Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, décrypte ainsi dans un entretien au site de Terra Eco : « Avant la crise, le creusement des écarts était dû à une diminution de la progressivité et de la redistribution des systèmes fiscaux et sociaux dans la plupart des pays. Il était aussi lié à une constante augmentation des revenus parmi les salariés. Depuis 2008 en revanche, c’est la croissance du chômage qui entraîne une hausse des inégalités. »
Pour pallier ces inégalités croissantes, l’OCDE préconise donc des politiques « visant à stimuler la croissance et l’emploi », ainsi qu’une réforme fiscale « afin de veiller à ce que chacun paie sa juste part et reçoive en retour le soutien dont il a besoin ». Le travail reste la priorité –le taux de pauvreté des familles sans emploi est presque six fois supérieur au taux de pauvreté des familles d’actifs –, et les gouvernements doivent donc s’efforcer de faciliter l’accès à l’emploi, à des salaires suffisants pour s’éloigner du seuil de pauvreté, à des perspectives d’évolution professionnelle.
Toutefois, nuance l’Organisation, le travail ne fait pas tout, et plus de la moitié des personnes pauvres appartiennent à des ménages recevant des revenus d’activité trop faibles du fait du volume horaire ou du niveau de salaire.
Angela Bolis
Article original sur le site du Monde.