Israël : la Start-Up Nation est une terre d’inégalités | Le Monde

LE MONDE | 23 janvier 2013

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Israël est un pays à deux vitesses, qui cache ses plaies économiques. A plus forte raison dans le brouillard électoral qui accompagne le scrutin législatif du 22 janvier. Inutile d’attendre des candidats, a fortiori du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, un jugement clinique sur l’état de santé véritable de la  » Start-Up Nation « , comme les Israéliens se plaisent à définir leur pays.

Côté face, il y a la  » Silicon Wadi  » de Haïfa, avec son pôle d’excellence qu’est l’université Technion, et les fortes concentrations d’industries high-tech situées à Rehovot, Ra’anana, Herzliya et Tel-Aviv. Parfois on pourrait s’y méprendre, tant certains quartiers ont des airs de Palo Alto, ce temple du high-tech californien, dans le nord de la Silicon Valley.

Côté pile, il y a cette tendance lourde de l’accroissement des écarts de richesse dans la société israélienne, avec une nette augmentation du taux de pauvreté (+27 % en 2012), un phénomène qui touche désormais une large partie de la classe moyenne. En 2010, 31 % des Israéliens étaient concernés par le risque de pauvreté (29 % en 2008), un taux qui représente près du double de la moyenne des pays européens (16 %). C’est contre ce phénomène que les  » indignés  » israéliens sont descendus dans la rue, de juillet à octobre 2011.

Pendant les cinq années qui ont précédé ce mouvement de contestation, la situation économique des jeunes couples qui travaillent s’est nettement dégradée, ainsi que celles des ultraorthodoxes (haredim) et des Arabes-Israéliens, les deux catégories sociales qui sont structurellement à la traîne de la prospérité économique de l’Etat juif. 55 % des familles ultraorthodoxes et 53,2 % des familles arabes israéliennes vivent sous le seuil de pauvreté, tout comme 20,3 % des personnes âgées et 35,6 % des enfants israéliens, soit 905 000 enfants…

Retour au high-tech : en 2012, Israël a vendu pour 5,5 milliards de dollars (4,13 milliards d’euros) de start-up, un montant record. Les acheteurs sont surtout des multinationales américaines, et les secteurs concernés sont la biotechnologie, les télécommunications et le e-commerce. Mais si Google a récemment inauguré son nouveau siège de recherche et développement en Israël, et si le modèle des incubateurs israéliens de start-up a fait florès à travers le monde, ce secteur de pointe, qui a longtemps été le moteur de l’économie israélienne, a des ratés.

D’abord, le high-tech ne concerne que 200 000 personnes environ, employées dans quelque 3 300 entreprises, soit quelque 9 % de la population active. En 2011, le secteur de l’information, de la communication et de la technologie a progressé de 1,5 %, alors que l’ensemble du secteur industriel a crû de 5 %. Globalement, le high-tech progresse donc moins que l’ensemble de l’économie. La raison ? Le gouvernement a beaucoup réduit ses investissements, tant sur le plan du capital humain que financièrement.

Selon des experts, il manque entre 8 000 et 10 000 ingénieurs dans ce secteur. Le high-tech ne joue pas le moindre rôle social, les populations ultraorthodoxe et arabe israélienne n’ayant pas la formation pour rejoindre des métiers qui exigent de solides connaissances en mathématiques et en sciences. Si la situation des Israéliens les plus défavorisés a tendance à empirer, c’est notamment en raison de l’érosion des salaires et de l’augmentation du prix des logements, deux des principales critiques des  » indignés  » de 2011.

Les sondages montrent que les trois quarts des Israéliens placent les risques socio-économiques au premier rang de leurs préoccupations. Ce ne sont pas les derniers chiffres du déficit budgétaire qui vont les rassurer. A moins d’une semaine du scrutin législatif, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a été obligé d’annoncer un bond spectaculaire du déficit qui, atteignant 39 milliards de shekels (7,8 milliards d’euros) pour 2012, représente 4,2 % du PIB, soit plus du double des prévisions officielles.

L’explication ? Elle est triple : d’abord l’explosion des dépenses militaires, avec un budget de la défense qui atteint 63 milliards de shekels (12,65 milliards d’euros), en augmentation de 20 % sur un an, et représente environ 17 % du total des dépenses publiques. La deuxième raison est la baisse des rentrées fiscales, due au ralentissement de la croissance économique (3,3 % en 2012, elle devrait ralentir à 2,8 % en 2013), ce qui a accentué le décalage entre recettes et dépenses.

Enfin, ce qui a longtemps été présenté comme une initiative novatrice susceptible d’apporter de la stabilité économique – un budget bisannuel – se révèle un piège, le gouvernement étant dans l’incapacité de prévoir les retombées d’une conjoncture économique internationale négative. Préoccupé par les conséquences électorales de ces résultats économiques peu flatteurs, Benyamin Nétanyahou a mollement assuré qu’il n’y aurait pas d’augmentation des impôts en 2013. Vaine tentative : la quasi-totalité des experts israéliens annoncent déjà des coupes budgétaires drastiques et un net alourdissement de la pression fiscale.

Laurent Zecchini

Article original sur le site du Monde.