Libération | 23 avril 2013 à 22:16
DÉCRYPTAGE Le rapport 2013 «Revenus et patrimoine des ménages» de l’Insee pointe un creusement des inégalités.
Par Christophe Alix
Chaque année, l’Insee sonde les revenus et le patrimoine des ménages français en mesurant les effets de la conjoncture sur leur évolution. L’édition 2013 revêt une importance particulière, puisqu’elle permet pour la première fois d’apprécier comment la crise initiée en 2008 a affecté le niveau de vie des ménages et aggravé le taux de pauvreté, qui reste cependant sensiblement inférieur à la moyenne européenne.
DOCUMENT : l’étude complète de l’Insee
Quel a été l’impact du choc de 2008 ?
A la fin 2010, le revenu médian (la moitié des Français gagnent plus, l’autre moitié gagne moins), qui constitue le meilleur indicateur du niveau de vie, était de 19 270 euros. Il a baissé de 0,5% par rapport à 2009, année de la «grande récession» au cours de laquelle le niveau de vie a paradoxalement continué de progresser alors que la richesse nationale avait dégringolé de 3,1%, avant de rebondir de 1,7% en 2010.
Ce décalage s’explique par l’extinction en 2010 de mesures de soutien aux catégories les plus fragiles contenues dans le plan de relance Fillon de 2009. «Le système de protection sociale a joué son rôle et a globalement permis d’atténuer le choc, explique Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l’Insee, qui a supervisé l’étude. D’où cette quasi-stabilité du niveau de vie deux ans après un choc conjoncturel majeur et alors que la France était très loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant-crise. Mais quand on rentre dans les détails, on voit que ces stabilisateurs n’ont pas empêché un creusement notable des inégalités au cours de cette période.»
Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage ordinaire dont la personne de référence n’est pas étudiante et dont le revenu déclaré est positif ou nul.
Quels ont été ses effets sur les inégalités ?
Si tous les déciles de niveau de vie sont concernés par la baisse de revenus de 2010, elle est bien plus forte dans le bas que dans le haut de la fourchette. Sur la période 2009-2010, les 20% les plus pauvres ont vu leur revenu médian reculer de 1,3%, alors qu’il a progressé de 0,9% pour les 20% les plus riches. A la fin 2010, 14,1% de la population française, soit 8,6 millions de personnes, vivaient sous le seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit 11 562 euros. Cette hausse de la pauvreté (de 0,6%) a particulièrement touché les familles (2,7 millions d’enfants pauvres fin 2010) et les moins de 18 ans, parmi lesquels le taux de pauvreté culmine à 19,6%. A l’autre extrémité du spectre, les 1% les plus riches ont certes vu leur niveau de vie baisser de 4,5% en 2009. Mais cette chute a été effacée dès l’année suivante, avec une hausse de 4,5%. Les très riches sont d’autant moins à plaindre que leurs revenus avaient bondi avant la crise (de 5% par an entre 2004 et 2008).
Selon Fabrice Lenglart, ce creusement des inégalités a cependant été largement compensé par les effets redistributifs des transferts sociaux.«Sans ces derniers, la baisse du niveau de vie des 20% des ménages les plus modestes aurait été quatre fois plus importante, ce qui aurait provoqué une explosion des inégalités.» Si l’on se réfère cette fois à l’évolution moyenne du pouvoir d’achat par unité de consommation durant ces deux années (c’est-à-dire en tenant compte de la composition du foyer), il a continué à légèrement progresser en 2009 et en 2010. Avant de reculer de 0,1% en 2011 et de 1% en 2012. Une nouvelle chute du pouvoir d’achat est probable cette année.
Quelle évolution du niveau de vie des retraités ?
Cette édition 2013 «Les revenus et le patrimoine des ménages» pointe également un creusement des inégalités au sein de la population des seniors retraités entre 1996 et 2009. Si l’évolution de leur niveau de vie a été globalement identique à celle des actifs avec un revenu médian de 18 560 euros en 2009, les plus jeunes d’entre eux (65-75 ans) en ont davantage bénéficié que les autres. Une différence qui s’explique par des carrières plus complètes, notamment pour les femmes, avec une montée en puissance des régimes de retraite complémentaire. Un «effet générationnel», comme l’appelle l’Insee. L’augmentation des inégalités s’est également faite par le haut avec des seniors aisés qui ont vu les revenus du patrimoine fortement progresser, en raison notamment de l’appréciation des prix de l’immobilier. Dans ce dernier cas, les plus âgés des seniors sont souvent les plus fortunés comme en témoigne leur surreprésentation dans la tranche haute de l’ISF.
Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans unménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
Lecture : en 2009, le taux de pauvreté monétaire s’établit à 10,4 % pour les personnes âgées de 65 ans ou plus.
Article original sur le site de Libération.