Le Monde | 10 mars 2013
Bruxelles étudie le moyen d’aider ces sociétés qui génèrent « de meilleurs retours sur capitaux »
En Europe, une entreprise familiale n’a qu’une toute petite chance d’exister, sous la même forme, deux générations plus tard. Seules 15 % de ces sociétés subsistent à la troisième génération, affirme Jesus Casado, secrétaire général d’European Family Businesses, une association basée à Bruxelles qui regroupe 10 000 membres, soit l’équivalent de 10 % du produit national brut (PNB) européen. Ce ratio montre combien il est difficile de transmettre une entreprise familiale à ses héritiers.
M. Casado se bat pour que les différentes instances de l’Union européenne reconnaissent enfin l’entreprise familiale comme « le noyau de l’économie réelle en Europe ». La Commission européenne a mis en place mi- février un groupe de travail pour faire un état des lieux sur la transmission des entreprises familiales en Europe, et essayer de trouver des solutions qui permettent de pérenniser la croissance et l’emploi. Déjà, la Commission avait proposé une quinzaine de mesures dans ce sens en 1994, mais tous les pays n’avaient pas répondu à l’appel.
« Il y a plusieurs pays où la transmission familiale est taxée de manière beaucoup trop importante, comme la France », où le niveau des impôts est tel qu’il gêne bon nombre de transferts, explique M. Casado. Il cite en revanche l’Espagne, le Royaume-Uni et la Suède parmi les bons élèves, qui ont fait des efforts pour baisser ces impôts.
Cette mobilisation arrive à point nommé pour le PDG de LVMH, Bernard Arnault, qui a demandé la double nationalité en Belgique après y avoir créé une fondation dans le seul but de protéger l’intégrité du capital du groupe de luxe d’ici à 2023 et de transmettre plus aisément son groupe à ses héritiers s’il venait à disparaître d’ici là.
C’est le cas le plus emblématique, mais pour des milliers de PME européennes, leur difficile transmission d’une génération à l’autre aboutit à une disparition massive d’emplois. Même si l’on prend en compte les rachats par d’autres propriétaires. Selon une étude réalisée par Business Dynamics en 2010, « approximativement 450 000 entreprises familiales sont transmises chaque année dans l’Union européenne, ce qui affecte 2 millions d’emplois ». Rien qu’en France, selon cette étude, ces transferts devraient concerner chaque année jusqu’en 2020, « 27 000 sociétés et affecter 330 000 emplois ».
« Aujourd’hui, on estime qu’une bonne moitié des entreprises cotées en Bourse en France sont familiales », affirme Christine Blondel, professeur adjoint d’entreprise familiale à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead) et conseillère auprès d’entreprises familiales. La liste inclut aussi bien L’Oréal que Wendel, LVMH, PPR, Pernod Ricard, JC Decaux, Bongrain, Bonduelle, Hermès ou Bouygues… Sans compter les grands groupes non cotés comme Auchan, Chanel, Arc International, Galeries Lafayette ou Norauto.
Au niveau mondial, le capitalisme familial est extrêmement répandu et représenterait entre 60 % et 95 % de l’économie des différents pays de la planète, selon M. Casado. C’est vrai aux Etats-Unis où un tiers des 500 entreprises américaines composant le Standard & Poors 500 sont familiales, en Inde avec Mittal ou encore à Hongkong.
« Capitalisme plus humain »
Parmi les avantages compétitifs les plus connus du capitalisme familial, Mme Blondel rappelle que ces entreprises « génèrent en moyenne de meilleurs retours sur capitaux » que les autres.
Une récente étude de John L. Ward, professeur d’économie managériale de l’école de management Kellogg (Northwestern University, située dans l’Illinois), réalisée sur 34 000 entreprises de taille moyenne en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne, montre que ce retour s’élève à 25 % pour les entreprises familiales contre 20 % pour les autres.
Une autre spécificité de ce type d’entreprise tient à « un capitalisme plus humain », comme l’explique Mme Blondel. Ces sociétés offrent en général » une plus grande stabilité d’emploi en licenciant moins vite « en cas de difficultés financières. Sans doute parce que les actionnaires ont une relation plus émotionnelle à leur entreprise si elle a été créée par leurs parents ou leurs grands-parents.
Le turnover des salariés y est plus faible qu’ailleurs. Autre caractéristique, ces entreprises « sont enracinées dans un territoire ». Enfin, Mme Blondel note que « la gouvernance – davantage basée sur la confiance et la communication que sur le contrôle – tend à se professionnaliser en ouvrant, par exemple, les instances dirigeantes à des non-membres de la famille ». Sans doute parce que le seul hic vient souvent du manque de compétence des héritiers…
Nicole Vulser