Terra Eco | 6-06-2012
Interview – Eliminer les retraites chapeaux et publier l’intégralité des rémunérations des patrons, c’est ce que Philippe Villemus, docteur en sciences de gestion, préconise sans craindre une fuite des cerveaux à l’étranger.
Philippe Villemus est professeur-chercheur au groupe Sup de Co Montpellier. Il est l’auteur de Le patron, le footballeur et le smicard (editions Dialogues, 19,9 euros).
Terra eco : Faut-il, selon vous, encadrer les rémunérations des patrons ?
Philippe Villemus : Oui. Parce que ces rémunérations ont littéralement explosé depuis une dizaine d’années alors que la précarité et le chômage ont fortement augmenté et surtout que les cours de bourse ont dévissé. Parce que les patrons du CAC 40 sont les mieux payés de la planète après les Etats-Unis alors que la France n’est pas tout à fait le deuxième plus grand pays du monde… Parce qu’en France, il y a une concentration des pouvoirs dans les conseils d’administration. Des pouvoirs détenus par les élites qui se connaissent, et qui ont une accointance forte avec le système politique. C’est un système incestueux, consanguin. C’est une aberration unique au monde que l’on ne voit nulle part ailleurs à part à Cuba ou en Corée du Nord. Il faut supprimer totalement le cumul des mandats. On doit ne pouvoir être administrateur que d’une seule entreprise. Quand on aura fait ça, on aura déjà résolu 50% du problème.
Comment doit-on procéder ?
Il faut interdire certaines formes de rémunérations. Les retraites chapeaux d’abord. Je ne suis pas contre les très hautes rémunérations des patrons : ils ont une responsabilité pénale, sociale, économique… Mais pourquoi cette rémunération doit-elle se pérenniser quand ils n’exercent plus ? C’est totalement scandaleux et complètement contraire à l’esprit du capitalisme. Et si un patron se marie à la fin de sa vie à une jeune femme, ça veut dire qu’elle touchera des millions jusqu’à la fin de ses jours même si elle n’a jamais travaillé ! Alors qu’on demande aujourd’hui à tout le monde de se serrer la ceinture pour sauver la retraite par répartition.
Il faut aussi interdire les parachutes dorés. Ils récompensent les patrons qui ont failli (les patrons touchent les parachutes quand ils sont remerciés, souvent au terme de mauvais résultats, ndlr), détruit de la richesse pour les actionnaires. C’est comme si on récompensait un enfant qui a fait une très mauvaise rédaction par un 19.
Il faut aussi que les rémunérations des pédégés soient votées par l’Assemblée générale et qu’il y ait plus de transparence dans les rapports d’activité. Pour qu’une journaliste comme vous, un professeur comme moi, les actionnaires, la communauté ait une idée claire de la rémunération totale d’un patron. Dans une société cotée en bourse, la rémunération d’un pédégé est un véritable mille-feuilles, il y a les variables, les fixes, les retraites chapeaux, les parachutes dorés, les avantages en nature… Si on publiait ça, on aurait une grosse surprise et on se rendrait compte de l’énormité du problème.
Et faut-il, selon vous, fixer un plafond aux salaires des patrons ou obliger les entreprises notamment publiques à respecter un ratio entre le plus haut et le plus bas salaire comme le préconise François Hollande ?
Mais le salaire n’est qu’une toute petite minorité de la rémunération d’un patron ! C’est 20% environ. C’est à la rémunération globale qu’il faut s’attaquer pas au salaire net. Sinon, vous vous retrouverez avec quelqu’un comme Maurice Lévy (patron de Publicis, ndlr) qui dit renoncer à son salaire mais qui touche quand même 16 millions d’euros de rémunérations autres. Il faut d’autant plus s’attaquer à l’ensemble du millefeuille que les rémunérations annexes ont été conçues pour échapper aux taxes et aux réformes. Même si on plafonne, les dividendes et les stocks-options ne seront pas touchés, les retraites chapeau sont exonérées des cotisations sociales et on ne paye pas d’impôts sur les parachutes dorés.
Pensez-vous que les rémunérations des patrons sont méritées et comment calcule-t-on ce mérite ?
La valeur du travail a changé. Le critère de rémunération est purement financier. On ne prend plus en compte l’utilité sociale du travail. C’est pour ça que les instituteurs, les sapeurs-pompiers, les infirmiers ne sont pas bien payés alors que les tradeurs, les mannequins, les publicitaires le sont beaucoup. Pourtant un tradeur ne crée pas de richesse, il la déplace. Or, on ne peut pas dire que ces dernières années, on ait récompensé l’utilité financière. Depuis 2000, la valeur du CAC 40 a été divisée par 3 alors que les rémunérations des patrons étaient multipliées par deux. Les patrons français ont détruit en dix ans 700 milliards d’euros de valeur. Leurs salaires n’ont plus aucune justification.
Certains diront qu’il s’agit – avec de fortes rémunérations – d’éviter une fuite des cerveaux vers l’étranger ?
Ceux qui vous disent ça sont des rigolos. C’est une réflexion de café du commerce : combien de pédégés français ont été recrutés par des Américains ? Des Japonais ? Des Allemands ? Zéro. Pensez-vous vraiment que Coca-Cola ou CNN irait recruter le pédégé d’Air France ? Ils ne manquent pas de patrons. Et il y a des différences de culture, de langues.
Article original sur le site de Terra Eco.