Le Monde | 12 avril 2013
Des contribuables surtaxés
Les fondements de l’impôt sont la nécessité de la contribution publique, reconnue par les citoyens ou leurs représentants, et le libre consentement à celle-ci. La question de cette nécessité se pose d’emblée quand la dépense publique représente 56 % de la production de richesse de la nation.
Qui décide des options, du seuil d’intervention de la sphère publique ? Les citoyens ou leurs représentants ? Mais les représentants donnent-ils bien un consentement éclairé ? Rares seraient les députés capables d’expliquer les modalités du régime progressif de l’impôt sur les revenus du patrimoine. La loi de finances détermine les dépenses et les recettes pour l’année qui vient, mais sur une assiette produite l’année précédente. Avec cette rétroactivité, sa lourdeur, et son instabilité, la loi fiscale ne peut évidemment se prévaloir du consentement des citoyens.
Que le gouvernement envisage en avril un aménagement de la fiscalité des plus-values pour les entrepreneurs, telle que votée en décembre 2012, semble certes aller dans le bons sens ; mais cela montre bien que le rythme des variations fiscales est incompatible avec la visibilité nécessaire aux agents économiques pour décider.
Par son niveau, notre fiscalité n’est pas davantage compatible avec un consentement éclairé. Sur le capital, un exemple : le marché français des actions a eu un rendement annualisé total (appréciation et dividendes) de 6 % au cours des quarante dernières années. Si l’on suppose que ce taux se poursuive, il faut en déduire fiscalité et cotisations sociales, impôt sur la fortune, coûts de gestion financière, inflation et croissance… Dans le meilleur des cas, le rendement réel net s’établit donc à – 2,2 % par an ! Où est la » rente » dans ce déclin garanti ? N’est-on pas plutôt dans « la soustraction de la chose d’autrui « qui caractérise le vol, selon le code pénal. Quelle épargne pourra s’investir dans nos entreprises ? Que reste-t-il de ce principe constitutionnel qui fait de la propriété un droit inaliénable et sacré ? Comment s’étonner de l’exode des entrepreneurs, des dirigeants, des investisseurs et des patrimoines ?
Quant au travail, nos représentants ont-ils expliqué à nos travailleurs que les deux tiers de la valeur qu’ils créent leur est soustraite ? Un cadre célibataire qui gagne 63 000 euros nets par an coûte en réalité 120 000 euros avec les charges sociales ; c’est donc sa valeur de marché. Après impôt sur le revenu et TVA sur sa consommation, son revenu discrétionnaire est en fait réduit à 33 % de sa création de richesse. Consentement ou asservissement ? Le développement de l’évasion fiscale et de la fraude ne sont que la manifestation de cette absence de consentement.
Quelle justice exige des prélèvements obligatoires à 46,3 % du PIB en 2013 ? Celle qui laisse plus de 3 millions de citoyens sans travail ? La solidarité nationale est venue étouffer l’auto-assurance, la solidarité individuelle, familiale ou collective, la charité et la responsabilité. On veut attaquer les rentes, mais qu’est-ce qu’une rente : c’est la certitude de toucher un revenu régulier sans travail ou sans proportion avec celui-ci. Questionnons donc plutôt nos dispositifs de retraite et d’indemnisation du chômage, le statut de la fonction publique, nos allocations et subventions sans contreparties ni contrôle… et nous réduirons une masse de rentes qui pèse sur notre capacité à créer de la richesse.
Absence de nécessité, mais aussi absence de contrôle ! Les représentants ne demandent pas de comptes une fois la dépense votée et n’en rendent pas davantage. Seule la Cour des comptes vient dénoncer sans conséquences les dépenses abusives ou inappropriées. Les révolutions se font pour la liberté et contre l’impôt : la France doit faire sa révolution.
François de Saint-Pierre
Banquier, ancien maître de conférences à Sciences Po