Modèle scandinave : où est passé l’État providence ? | Le Point

François Hollande veut s’inspirer des réformes en Europe du Nord. Mais dans ces pays, le tournant libéral a été tel qu’il est loué par la droite.

François Hollande et le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt. Ses mesures pour sauver le modèle social sont décriées par la gauche et encensées par "The Economist".
François Hollande et le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt. Ses mesures pour sauver le modèle social sont décriées par la gauche et encensées par « The Economist ». © Éric Feferberg/AFP

 

« J’estime qu’il est possible de faire des économies, nombreuses, tout en préservant notre modèle social. D’autres pays l’ont fait, et des pays qui avaient cette tradition sociale. Je pense aux pays d’Europe du Nord, notamment », a déclaré François Hollande en conférence de presse mardi, soulignant que ces pays « en sont sortis plus dynamiques et plus solidaires ». Une analyse un peu rapide qui fait fi de la manière dont les pays nordiques, touchés par la crise, ont réformé leur État-providence, au point d’être désormais cités en exemple par les penseurs libéraux.

La Suède, « le prochain supermodèle »

Ainsi, en Suède, de nombreux citoyens rétorqueraient à François Hollande une dégradation de la solidarité et dénonceraient l’allongement des temps d’attente dans les hôpitaux, les inégalités face à l’emploi qui exacerbent les tensions dans certaines banlieues et le délabrement du réseau ferroviaire. « La générosité du système a diminué », souligne Jonas Hinnfors, professeur de sciences politiques de l’université de Göteborg. « Beaucoup de choses ont déjà commencé à changer dans les années 1980, et surtout les années 1990 » où la Suède a traversé une grave crise financière, ajoute-t-il. Pour sauver ce qui pouvait l’être, la Suède a alors abandonné ses subventions à l’emploi ou au logement, réformé de fond en comble son système de retraite et réduit ses dépenses de santé. Son système de financement de la scolarité, favorable à l’éclosion d’établissements privés, est cité en exemple par des libéraux du monde entier, y compris la droite britannique.

Depuis 2006, le gouvernement conservateur de Fredrik Reinfeldt a mené des réformes libérales au pas de charge, avec notamment la baisse de la pression fiscale (dont l’abandon des droits de succession) et des conditions plus strictes pour les allocations chômage ou les indemnités journalières en cas d’arrêt-maladie. Le ratio des dépenses publiques sur le produit intérieur brut, monté au niveau record de 71 % en 1993, est aujourd’hui à 53 %. Début 2013, le magazine britannique libéral The Economist couronnait les pays nordiques comme « le prochain supermodèle ». « Ils offrent une feuille de route de réforme du secteur public rendant l’État bien plus efficient », écrivait le magazine.

Danemark : des tomates sur la Premier ministre

De même, le Wall Street Journal faisait mardi l’éloge des bouleversements de la fiscalité et de la protection sociale de la Suède et du Danemark, pays qui « déconcertent aujourd’hui leurs admirateurs étatistes à l’étranger ». Car Copenhague s’y est mis plus tard, mais est allé plus vite. La défaite électorale de la droite en 2011 laissait difficilement imaginer que la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt allait bousculer aussi radicalement un État-providence nourri par la fiscalité la plus lourde au monde. Elle abaissa l’impôt sur les sociétés (de 25 à 22 %), obligea les jeunes chômeurs à suivre des formations pour toucher leurs allocations et supprima les aides pour les étudiants attardés. « Gucci Helle », comme elle est parfois surnommée, s’est attiré de fortes inimitiés à gauche, jusqu’à être huée et la cible de jets de tomates le 1er mai 2013. Pour faire passer son budget 2014, elle a dû s’appuyer sur des partis d’opposition.

La rigueur budgétaire est loin d’avoir dopé la croissance danoise, véritable Arlésienne depuis 2008. Mais les électeurs qui estimaient que l’assistance allait trop loin applaudissent. En 2011, un reportage télévisé sur la vie des Danois défavorisés avait montré le cas d’une mère célibataire vivant avec 15 728 couronnes (2 100 euros) de prestations sociales par mois. Une aubaine pour les libéraux.

Même en Norvège…

Autre exemple, la Finlande. Dans la zone euro, le petit pays s’est rangé du côté des zélateurs de la vertu budgétaire et des « réformes structurelles ». Il cherche à s’appliquer à lui-même ce qu’il prêche. En août, son gouvernement de coalition entre libéraux et sociaux-démocrates a lancé un ensemble de mesures pour remettre ses habitants au travail : hausse de l’âge de la retraite, baisse du temps d’étude, incitations au retour à l’emploi pour les inactifs et les jeunes mères, etc.

Au final, seule la Norvège peut se permettre de prendre son temps, grâce à la manne pétrolière. Chacun de ses habitants est millionnaire en couronnes sur le papier, sachant la valeur de son fonds souverain (610 milliards d’euros). Ses électeurs ont porté au pouvoir en septembre une coalition de droite hétéroclite, entre libéraux, populistes et démocrates-chrétiens. Mais ses réformes devraient être prudentes : la chef de gouvernement Erna Solberg a promis un État plus efficace à coût comparable, voulant ouvrir l’éducation ou la santé à plus de concurrence.

Article original sur le site du Point.