Gilles Raveaud
Alternatives Economiques n° 320 – janvier 2013
Le constat est en train d’ébranler les responsables politiques et les économistes américains : la classe moyenne est en péril. Les revenus des ménages les 40 % les plus pauvres stagnent résolument depuis quarante ans ; et les salaires réels sont en chute libre depuis 2010.
Pour Michael Greenstone et Adam Looney, membres du think tank progressiste et pro-croissance Hamilton Project, le salaire médian de 2010 est égal à celui de… 1964, soit il y a près d’un demi-siècle. Certes, les Américaines s’en tirent un peu mieux, leurs salaires progressant de 1970 à 2000. Mais depuis 2000, c’est la chute pour elles aussi.
Soit. Mais quelles sont les causes ? Dans les années 1990, des théoriciens avaient inventé l’idée du « progrès technique en faveur des plus diplômés ». Si certaines personnes étaient mal payées, c’est parce qu’elles ne disposaient pas des qualifications demandées par les entreprises à l’âge d’Internet. Cette explication avait pour énorme avantage d’éluder les questions gênantes comme la mondialisation, le recul des syndicats (massacrés sous Reagan) ou les politiques de rémunération des entreprises. Et elle proposait une solution consensuelle : accroître le niveau d’éducation des travailleurs.
Mais voilà que le consensus se fissure. En réponse à un questionnaire proposé par le New York Times, de nombreux économistes ont osé mentionner la mondialisation. Il faut dire que, selon Michael Spence, lauréat du prix de la Banque de Suède, les secteurs de l’éducation, de la santé, et de la fonction publique – rien que du non-délocalisable – ont créé un emploi sur deux aux Etats-Unis au cours de la décennie 2000. De plus, Edward Alden, coauteur avec Spence du blog « Renewing America », montre que les régions américaines les plus exposées à la concurrence chinoise sont celles où le chômage est le plus fort, et que les multinationales américaines suppriment des emplois aux Etats-Unis pour en créer… à l’étranger. Le constat semble net : même dans un pays flexible comme les Etats-Unis, la mondialisation détruit les emplois industriels et pousse les salaires à la baisse.
Que faire ? Une possibilité consisterait à revenir à l’esprit fondateur du New Deal (ou de la Résistance, en France). En effet, pour James Galbraith, directeur du programme de recherche sur les inégalités de l’université du Texas, la stagnation des salaires n’est pas un problème aussi grave qu’il y paraît, car elle reflète avant tout l’entrée dans la vie active des femmes, des immigrants et des jeunes, des populations dont les salaires de début de carrière sont faibles. Pour Galbraith, « la réelle menace pour la classe moyenne », c’est la remise en cause des programmes hérités du New Deal, tels que l’assurance retraite, l’assurance santé, les programmes de logement ou l’éducation.
La solution de la crise par le haut, ce sont donc les institutions sociales et les investissements publics. Et de ce point de vue, Eric Heyer (OFCE) nous transmet la bonne parole des trois Rois Mages (le Fonds monétaire international, l’OCDE et la Commission européenne). Selon ces institutions, tout euro dépensé par l’Etat en période de crise accroît le produit intérieur brut d’au moins 2 euros (et même 5 ou 6 dans le cas des autoroutes). Autrement dit, la relance, ça rapporte. Let’s do it !
Article original sur le blog de l’auteur.