Nouvel Observateur | Créé le 10-04-2013 à 12h27
Par Laurent Joffrin, Directeur du Nouvel Observateur
TOUT LE DOSSIER EST TÉLÉCHARGEABLE :
La gauche piégée par l’argent
Celui qui n’aimait pas les riches
Qui savait quoi
Mélenchon demain la révolution
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« Mon adversaire, c’est la finance », disait le candidat Hollande en campagne. L’adversaire était dans la maison… L’opinion attend maintenant que le président passe aux actes.
« Le Nouvel Observateur » du 11 avril. (Le Nouvel Observateur)
Cahuzac et son coup de Jarnac coûtent très cher à François Hollande. « Mon adversaire, c’est la finance », avait dit le candidat socialiste. Amère ironie : l’adversaire était dans la maison. L’argent, sous sa forme la plus dégradée – la fraude et la corruption -, était assis à la table du conseil des ministres, en la personne d’un argentier indigne qui foulait aux pieds les devoirs de sa charge. L’argent, toujours l’argent… L’argent, comme disait François Mitterrand en 1971 au congrès d’Epinay, « qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ».
Du coup la gauche est piégée. Bien sûr, personne ne doute de l’honnêteté du président ou de celle du Premier ministre. Personne de sensé ne croit que le personnel socialiste pratique dans son ensemble la malversation ou la combine. Mais le déshonneur Cahuzac rejaillit sur le régime. Le ministre du Budget fraudait. C’est comme si l’archevêque de Paris organisait des messes noires ou le chef de la police des cambriolages. L’institution est frappée au coeur. Si Cahuzac a pu mentir avec autant d’aplomb au président et à l’Assemblée, que valent les démentis, les protestations d’innocence, les serments de rectitude ?
Le soupçon devient général
Le soupçon devient général. Déjà encline à la théorie du complot, l’opinion met tout le monde dans le même sac. Le socialisme réformiste, qui s’accommode de l’argent légal, est aussitôt suspecté d’indulgence envers l’argent sale. La gauche caviar, qui a pourtant son utilité, devient la gauche du pot de confiture.
Cahuzac est un cas individuel, dit-on. Certes. Mais il a usé d’un système : celui qui permet à tant de contribuables aisés d’échapper à l’impôt en bénéficiant des services officieux de banques officielles, établissements prétendus respectables qui ne sont que des receleurs. Le rôle néfaste des paradis fiscaux et des financiers louches qui ont pignon sur rue a été maintes fois démontré. L’affaire Offshore Leaks, révélée en France par « le Monde », en donne une confirmation effrayante. Pour réduire indûment ses impôts, une bonne partie de la classe dirigeante viole ou contourne les règles imposées au citoyen ordinaire. Comment les Français peuvent-ils entendre l’appel au sacrifice, souvent lancé par les mêmes responsables ?
Les tricheurs sont de tous les temps
On dira que les comptes en Suisse ne datent pas d’hier, que les tricheurs sont de tous les temps. Mais certains systèmes, certaines idéologies les combattent moins que d’autres. La mort de Margaret Thatcher vient nous rappeler qu’en 1979 commençait en Grande-Bretagne la révolution conservatrice. La « Dame de fer » était sincère. Elle croyait que la libération des riches profiterait finalement aux pauvres. Trente ans après, le bilan est là. Le Royaume-Uni a progressé, certes.
Mais les inégalités ont explosé et le pouvoir d’achat des classes populaires a stagné. Le rôle excessif conféré à la finance par la libéralisation des capitaux, outre les dérèglements mondiaux que nous savons, a décuplé les occasions de triche. La phobie de l’impôt, pierre d’achoppement du libéralisme, finit par justifier la fraude fiscale. Les scandales boursiers et bancaires se sont multipliés. Avant Cahuzac, il y a eu Madof, Kerviel, la Barings ou l’immense triche sur le Libor, perpétrée par les principaux banquiers de la place. On connaissait la délinquance des cités. Celle de la City n’a rien à lui envier.
Pas de demi-mesures ni de prudence
Dans ces conditions, la réplique du président ne peut pas s’embarrasser de demi-mesures ou de prudence. Certaines choses ne peuvent plus durer, sauf à précipiter la gauche de gouvernement dans un discrédit définitif. Il y a d’abord la méthode. François Hollande tempère par l’humour la rationalité froide qui le conduit. Mais en période de crise aiguë, ni l’humour ni la rationalité ne sont d’un grand secours. On ne peut pas expliquer une baisse aussi cruelle de la cote de popularité du président par les seules difficultés de la crise. A ce point de déception, c’est forcément le mode d’exercice du pouvoir qui est en cause. François Hollande est l’homme de la raison ; il doit devenir un homme des tempêtes. Sinon, la tempête l’emportera.
Contrairement au cliché en vigueur, le président décide. Il décide souvent et ne craint pas de déplaire. Mais la meilleure décision ne vaut rien sans un sens du drame. A l’heure des grandes secousses, le calcul raisonnable devient dérisoire. Il faut parler à l’imagination du peuple. Dans une France à la fois monarchique et républicaine, le président doit être un personnage de roman.
Un geste d’audace
Sinon il est dédaigné. Ce que l’opinion attend, ce ne sont pas quelques mesures soigneusement pesées. C’est un geste d’audace. La social- démocratie est en crise. Partout en Europe elle recule ou disparaît, la France est son dernier bastion. Mais sans croissance elle n’a rien à redistribuer, alors que cette redistribution est sa raison d’être. Théorisé dans certains cercles gouvernementaux, le « socialisme de l’offre » n’offre rien aux classes populaires. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la corruption, son talon d’Achille, l’atteint de nouveau. De ce déclin, il faut tirer les leçons.
La France salie par Cahuzac doit rebondir en prenant la tête de la lutte contre la corruption et les paradis fiscaux. Les projets existent, préparés, par exemple, par Pascal Canfin, qui siège au gouvernement, ou par l’ONG Transparency International, que préside Daniel Lebègue, ancien directeur du Trésor.
Il ne s’agit pas de socialisme mais tout simplement de République. Il est possible de moraliser la vie démocratique, quitte à bousculer les élus. Il est possible de réduire le rôle des paradis fiscaux, quitte à affronter les féodalités financières. On avait commencé à le faire après la grande crise de 2008. Puis le lobby bancaire a repris le dessus. Il est temps de remettre l’ouvrage sur le métier. C’est affaire de volonté. Et de survie.
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