A San Francisco, les protestations anti-Google dérapent | Le Monde

23 janvier 2014, par Jérôme Marin

Jusqu’ici « limitées » au blocage des bus transportant des salariés de San Francisco vers les campus des sociétés high tech, les protestations anti-Silicon Valley ont sérieusement dérapé mercredi 22 janvier quand plusieurs manifestants ont ciblé un salarié de Google, manifestant devant son domicile situé à Berkeley et distribuant des tracts l’incriminant à ses voisins. Un tract rempli de détails personnels, témoignant d’une enquête, voire même d’une surveillance.
Selon un message posté sur un site d’actualités locales IndyBay par un groupe se faisant appeler Counterforce, ces protestataires ont sonné à 7 heures du matin au domicile d’Anthony Levandowski, qui travaille sur le projet de voiture sans chauffeur au sein de Google X, le laboratoire secret de Google. Ils ont ensuite bloqué son allée pendant 45 minutes avant d’aller bloquer un bus de Google un peu plus loin.

GENTIFRICATION

« Après nos précédentes actions contre les bus de Google, beaucoup de critiques ont insisté sur le fait que les employés de Google n’étaient pas responsables. Nous ne sommes pas d’accord: aucune action n’est meilleure qu’une autre. Tous les employés de Google devraient être empêchés d’aller au travail. Aucun appartement de luxe ne devrait être construit. Personne ne devrait être déplacé », explique Counterforce sur IndyBay.
Si ce groupe a ciblé ce salarié en particulier, c’est parce qu’il a acheté un appartement dans un complexe en cours de construction à Berkeley. « Il participe à la stérilisation et à la gentrification de Berkeley », explique le tract mis en ligne sur IndyBay. Avant de poursuivre: « Ce projet est le témoin de l’arrogance, de la déconnexion et du luxe de cette classe ».
Google n’a pas commenté, ni confirmé cet incident. La firme de Mountain View tente de trouver des solutions. Ses nombreux bus sont désormais équipés d’agents de sécurité. Elle teste par ailleurs l’utilisation de ferrys pour transporter ces employés.

HAUSSE DES LOYERS

Si les revendications de ce groupe tournent à un appel révolutionnaire – et desservent très certainement leur cause -, les problèmes sociétaux posés par l’argent des sociétés high tech sont bien réels. San Francisco est aujourd’hui la ville la plus chère des Etats-Unis. Comptez en moyenne 2.300 dollars pour un studio, 3.300 dollars pour un appartement avec deux chambres.
Ces derniers mois, la contestation sociale s’est faite de plus en plus apparente. Les Google bus représentent une cible symbolique. Car ce sont eux qui transportent chaque jour des milliers de salariés de la société de San Francisco vers son campus de Mountain View. Apple, Yahoo, Facebook et autres disposent aussi de leur propres navettes (mais moins nombreuses).
L’afflux de ces employés à San Francisco, à 45 minutes de voiture au nord de la Silicon Valley historique, a entraîné une inflation rapide des prix de l’immobilier. D’autant qu’il faut y ajouter les salariés des sociétés basées dans la ville, comme Twitter, Square, Airbnb ou encore Zynga.

MESURE SYMBOLIQUE

Pour contourner le contrôle strict des loyers imposé par la municipalité, les propriétaires n’hésitent plus à se débarrasser de leurs locataires. Comme cette dame de 97 ans dont l’histoire a été racontée par le New York Times (vidéo). Le nombre d’expulsions (pourtant elles aussi réglementées) a grimpé de 25% l’an passé.
À la mairie de San Francisco justement, on est quelque peu embarrassé par la montée de ces revendications. Car le boom de l’économie numérique est jugé globalement positif pour la ville. Cela a stimulé l’activité, créé des emplois, revigoré des quartiers. Et le maire Ed Lee s’est personnellement impliqué pour attirer ou retenir des sociétés high tech.
Pour tenter de calmer les esprits, la municipalité a décidé mardi 21 janvier de faire payer les entreprises qui utilisent les arrêts de bus publics. Au total, elles devront verser 1,5 million de dollars par an. Une mesure, avant tout symbolique, qui ne satisfait cependant pas les protestataires. D’autres actions sont donc à prévoir.

Article original sur le site du Monde.