GRECE. « Chaque jour est pire que la veille, il n’y a aucun espoir » | Nouvel Observateur

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REPORTAGE. Chômage, misère, désespoir… Les suicides ont augmenté de 40% en un an. La spirale infernale de la récession touche tous les Grecs. Sauf les riches.

Dimitris Christoulas, pharmacien à la retraite de 77 ans, est devenu le symbole de la crise grecque. Mercredi 4 avril, à 9 heures du matin, à l’heure de pointe, l’homme s’est tiré une balle dans la tête sur la très emblématique place Syntagma d’Athènes, théâtre de toutes les manifestations contre l’austérité, en face du Parlement, symbole d’une politique de rigueur aveugle aux souffrances du peuple. Avant de se suicider, Dimitris Christoulas a crié : « Je n’en peux plus, je ne veux pas laisser de dettes à mes enfants. »

Le désespéré a aussi laissé une éloquente lettre :

Le gouvernement a réduit à néant mes possibilités de survie, qui étaient fondées sur une retraite honorable pour laquelle j’ai payé seul toute ma vie […] Je ne trouve pas d’autre solution pour une fin digne, avant que je commence à chercher dans les poubelles pour me nourrir. »

Peu après, un millier d’inconnus se sont réunis auprès de l’arbre où il a mis fin à ses jours pour dénoncer « un meurtre d’Etat ». L’ensemble de la classe politique grecque a réagi, certains pour dénoncer les mesures d’austérité inhumaines, d’autres l’instrumentalisation d’un drame personnel.

Le nombre de dépressions explose

Depuis le début de la crise, le nombre de suicides en Grèce, qui était l’un des plus faibles d’Europe, explose. Il aurait augmenté de plus de 40% en un an. L’ONG Klimaka, qui a mis en place une ligne téléphonique d’urgence pour les désespérés, a vu le nombre d’appels doubler en un an et se multiplier par quatre depuis sa création, en 2007. Le nombre de dépressions explose. « Mon cabinet privé ne désemplit pas, dit le psychiatre Orestis Giotakos, qui est aussi chef du département psychiatrique de l’hôpital militaire d’Athènes. La Grèce n’était pas prête à faire face à cette hausse des maladies mentales. Et, au lieu d’augmenter, le budget des hôpitaux psychiatriques a été réduit de 40%, comme celui de tous les hôpitaux « .

Trois millions de nouveaux pauvres

Dimitris, 50 ans, donne un coup de main à la soupe populaire de la mairie d’Athènes. Silencieux et honteux, des centaines de Grecs, hommes et femmes, de tout âge, souvent encore bien habillés, se pressent dans la queue, deux fois par jour, pour recevoir un repas chaud. « Je suis comme eux, j’ai perdu mon travail il y a un an », avoue Dimitris.

La crise qui frappe la Grèce a fait exploser le chômage, qui atteint 22% de la population active. Les nouveaux pauvres sont apparus et, avec eux, des sans-abri. Le nombre de SDF aurait ainsi augmenté de plus de 25% depuis 2009, l’année où la crise a frappé le pays. Près de 28% des Grecs, soit plus de 3 millions de personnes, vivraient près du seuil de pauvreté, selon Eurostat. Pour faire face à cette vague de nécessiteux, la société se mobilise. Ainsi la puissante Eglise orthodoxe distribue aujourd’hui plus de 250.000 repas par jour à travers tout le pays.

« Quand vous perdez votre travail, vous devenez fou »

Peintre en bâtiment, Dimitris ne trouve plus que quelques journées de travail par mois, et au noir : « C’est payé de 20 à 25 euros par jour, sans assurance, sans rien. » « Mais, ajoute-t-il, amer, les immigrés travaillent pour 15 euros. » Dimitris n’a rien contre les étrangers : « En Grèce, on les aime bien. Mais quand vous perdez votre travail, vous devenez fou. » Le vote pour l’extrême-droite, la droite néonazie ou « nationale », a ainsi explosé lors des élections du 6 mai. Un vote de désespoir : « Chaque jour, dit Dimitris, est pire que la veille. Il n’y a aucun espoir. » Comme beaucoup, il songe à s’expatrier.

A quelques centaines de mètres de là, la clinique de Médecins du Monde (MDM) est submergée par des immigrés, mais aussi – et c’est nouveau -, par des Grecs ruinés qui viennent se faire soigner gratuitement. « Nous avons dû mettre en place une distribution de nourriture quand nous nous sommes aperçus que, souvent, nos patients n’avaient pas assez à manger, dit Christina Samartzi, de Médecins du Monde. Parfois, reprend-elle, ils n’ont même pas de lait à donnera leurs enfants. »

Jean-Baptiste Naudet, Nicole Pénicaut et Maud Vidal-Naquet

Article original sur le site du Nouvel Observateur.