Inégalités au travail : ‘Le travailleur pauvre est une femme à temps partiel’ | Le Point

Le Point.fr – Publié le 06/03/2013 à 11:38

Le triptyque « temps partiel-activités de services-emplois peu qualifiés » creuse l’inégalité salariale entre les deux sexes. Pistes de réformes.

Par LAURENCE NEUER

Cette année, la Journée de la femme tombe le jour de Vénus. Un signe annonciateur de l’égalité parfaite des sexes face au travail ? Si un travailleur sur deux est une femme, la parité professionnelle entre les hommes et les femmes recouvre, en revanche, une réalité plus nuancée. Premier constat : l’emploi féminin se concentre sur un nombre très restreint de métiers et de secteurs. Ainsi, la moitié des emplois occupés par les femmes (50,6 %) concernent seulement 12 des 87 familles professionnelles. Et celles-ci sont dans l’ensemble moins reconnues, moins valorisées et moins rémunérées que les emplois dits « masculins ». En outre, les femmes représentent 62 % des métiers non qualifiés et 77,5 % en moyenne des employés (statistiques 2010). Elles sont surreprésentées dans le secteur tertiaire (enseignement, santé, administration), certains métiers étant occupés à plus de 90 % par des femmes (aides à domicile, aides-soignants, secrétaires et assistants maternels).

Du temps partiel au temps plein

Autre particularité purement féminine : le temps partiel. « Aujourd’hui, le travailleur pauvre est une femme à temps partiel », déplore la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation du Sénat aux Droits des femmes et à l’Égalité des chances entre les hommes et les femmes. « Le taux de féminisation des emplois à temps partiel avoisine 82 % », révèle en effet l’étude Femmes et Précarité du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publiée en février 2013. Pour lutter contre ce fléau, la recommandation n° 12 du rapport d’information du Sénat Femmes et Travail sorti en janvier 2013 préconise d’offrir aux salariés à temps partiel une priorité d’accès au temps plein. Elle insiste aussi sur l’importance d' »assurer à tous les salariés à temps partiel l’accès aux droits sociaux soit en instaurant une durée minimum légale de travail, soit en imposant aux employeurs de cotiser à concurrence de l’ouverture des droits sociaux ».

« Ce temps partiel, qui se combine souvent avec des CDD renouvelés, doit aussi être moins séquencé dans ses horaires », souligne la sénatrice, qui souhaite par ailleurs voir interdire l’annualisation du temps partiel et du temps de travail en général. « C’est la raison pour laquelle je suis hostile à l’accord signé entre le Medef et trois organisations syndicales visant à lisser le temps de travail sur l’année en imposant plus de flexibilité dans les horaires pour répondre à des pointes de charge« , explique Brigitte Gonthier-Maurin. De son côté, la délégation du CESE juge indispensable d’améliorer la qualité et les conditions d’exercice du travail à temps partiel. « L’accord conclu début janvier 2013 portant sur l’introduction d’un minimum hebdomadaire de 24 heures, la majoration des heures complémentaires dès la première heure et la priorité donnée à la négociation de branche va dans le bon sens », précisent ses rapporteurs.

Plafond de verre

Reste qu’avec 10 % des hommes et 22 % des femmes travaillant à temps partiel la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE. Avec un bémol : « La France fait partie des pays mobilisant le plus de temps partiel pour les femmes ayant des enfants de moins de 15 ans à charge », note le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la « politique d’égalité professionnelle en France » publié en janvier 2013.

L’inégalité des sexes n’est pas seulement de nature « horizontale ». Les salariées hautement qualifiées continuent de se heurter au « plafond de verre » dans le déroulement de leurs carrières. Sauf que, tempère le rapport de l’IGAS, « la France est le pays de l’OCDE qui compte le plus de femmes (35 %) exerçant des responsabilités managériales ». Le pays s’est aussi hissé en 2012 sur la première marche du podium pour son taux de féminisation des conseils d’administration des 200 plus grandes entreprises du monde, détrônant même les États-Unis (étude du Corporate Women Directors International, CWDI). Les femmes représentent plus d’un quart (25,1 %) des administrateurs des plus grandes entreprises françaises figurant dans ce top 200, alors que cette proportion n’atteignait que 20,1 % en 2011.

Serait-ce l’effet de la loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011 qui a instauré des quotas dans les sociétés anonymes cotées ? Cette loi est même allée plus loin en demandant à toutes les sociétés anonymes de composer leurs conseils en recherchant une représentation équilibrée. « La société qui continue à nommer des hommes administrateurs sans montrer ou au moins dire qu’elle a recherché une représentation équilibrée (par exemple en faisant appel à un chasseur de têtes) s’expose à ce que ces nominations soient annulées », explique Bruno Dondero, professeur de droit des affaires à l’université de Paris 1.

Écarts salariaux inexpliqués

Reste que l’asymétrie professionnelle se traduit inévitablement par celle des rémunérations. « La rémunération annuelle brute des femmes est inférieure de 24 % à celle des hommes et l’écart est de 14 % si l’on neutralise l’effet du temps partiel », note le rapport Femmes et Travail. Par ailleurs, 13,7 % des femmes sont rémunérées au smic, contre 7,4 % des hommes. De tels écarts salariaux s’expliquent notamment par la concentration des femmes dans les métiers les moins qualifiés et par leur forte présence dans l’emploi à temps partiel. En outre, note le « guide » publié le 1er mars par le Défenseur des droits, « les méthodes d’évaluation et de classification des emplois, en reproduisant des stéréotypes sexués, sous-valorisent les emplois occupés majoritairement par les femmes ».S’y ajoutent des raisons « moins explicables ». « Les femmes perçoivent une plus faible rémunération pour leurs heures supplémentaires et complémentaires. »

Plus grave, souligne le dernier rapport de La Grande Conférence sociale (juillet 2012), « à caractéristiques voisines (dites observables identifiées), on constate un écart de neuf points inexpliqué entre le salaire horaire moyen féminin et masculin. Cet écart est plus important dans les petites (moins de 50 salariés) et les grandes (plus de 2 000 salariés) entreprises (12 points) ; il est également plus important pour certaines catégories professionnelles : le salaire des cadres féminins présente ainsi un écart inexpliqué de 19 points par rapport à leurs collègues masculins ». De telles disparités refléteraient-elles des pratiques de discrimination ? Rendez-vous, alors, devant le tribunal…

Article original sur le site du Point.