La définition de la « richesse » divise la classe politique | La Croix

La Croix, 14 juin 2010

S’il veut taxer les hauts revenus, l’État doit d’abord fixer le niveau à partir duquel un contribuable est considéré comme « riche ». La question n’a pas fini de susciter les interrogations

Parce qu’il entend défendre l’équité de sa réforme des retraites, le gouvernement s’apprête à taxer les plus hauts revenus. Mais les modalités de cette contribution annoncée par Nicolas Sarkozy font débat. Évoquée la semaine dernière, la piste d’un impôt sur les revenus supérieurs à 11 000 euros pourrait finalement être abandonnée.

La question est sensible : en 2007, en pleine campagne présidentielle, le premier secrétaire du PS, François Hollande, s’était attiré les sarcasmes de la droite en affirmant qu’il fallait « taxer les riches ». Soit, expliquait-il alors, ceux qui gagnent « plus de 4 000 euros net par mois ». Le ministre du budget Jean-François Copé l’avait alors accusé de vouloir s’en prendre aux « classes moyennes ».

Fait-on vraiment partie de la classe moyenne quand on gagne 4 000 euros par mois ? Nouveau débat. « Oui, bien sûr, répondait Jean-François Copé. Un professeur en fin de carrière gagne à peu près 4 100 euros par mois. Un conducteur de TGV aussi. » Des affirmations aussitôt démenties par les syndicats.

Même débat le mois dernier. Cette fois, c’est le député libéral (UMP) Hervé Mariton qui se risque à une appréciation de la « richesse ». Interrogé par Canal + sur la définition de la catégorie qui sera taxée pour financer les retraites, il explique qu’il gagne 5 000 euros par mois (au titre de son indemnité parlementaire) et qu’il ne se considère pas comme « riche » : « C’est le revenu d’un cadre moyen », conclut-il. En réalité, l’élu de la Drôme, qui est également maire de Crest, gagne davantage : outre l’enveloppe dévolue à ses « frais de mandat », il touche une indemnité d’environ 1 400 euros en tant que maire.

« IL Y A TOUJOURS PLUS RICHE QUE SOI »

Hervé Mariton persiste et signe : « J’ai un bon salaire mais je ne suis pas riche. J’ai quatre enfants. Mes revenus me permettent une certaine aisance mais n’autorisent pas les caprices. » Pour le député et maire, la définition de la richesse est subjective : « On considère comme riche celui qui gagne plus que vous », souligne-t-il. « Impossible de définir la richesse de manière absolue, renchérit le député du Nouveau Centre Charles de Courson. C’est une question relative. »

Même circonspection à gauche : « Je n’aime pas ce vocable de « riche », répond le député (PS) de l’Indre Michel Sapin. C’est une facilité de langage et cela ne veut rien dire. Il y a toujours plus riche que soi. »

Il reviendra au gouvernement de fixer le curseur. Reste que le principe lui-même de ce volet de la future réforme des retraites suscite des débats. Pour Charles de Courson, il s’agit d’une bonne mesure : « On est dans une situation difficile socialement, il faut que les gens les plus aisés contribuent à l’effort national. » Taxer les revenus supérieurs à 10 000 euros par mois lui paraît juste : « Moins de 1 % de la population active a de tels revenus mensuels », explique le député de la Marne.

TAXATION PLUS IMPORTANTE DU CAPITAL ?

Plutôt que « taxer les riches », le socialiste Michel Sapin préfère dire qu’il faut faire contribuer les Français « à proportion de leurs revenus ». Et s’il y a un effort supplémentaire à demander aux plus hauts revenus, il faut cibler ceux qui sont soumis à la tranche supérieure de l’impôt. Il explique : « Ce sont ceux qui ont le plus profité au cours des dernières années des baisses d’impôt puisque en dix ans le taux d’imposition de cette tranche est passé de 57 à 40 %. Ce n’est pas anormal en période de difficultés financières que ce soit à eux que l’on demande un effort. »

Mais pour les socialistes, la mesure que s’apprête à prendre le gouvernement reste « cosmétique ». Et sert avant tout « d’alibi à une réforme profondément injuste », juge la députée PS Marisol Touraine. Pour financer les retraites, l’opposition avance d’autres solutions. Notamment une taxation plus importante du capital. « Au cours de ces dernières années, il y a eu un transfert progressif de la richesse du travail vers le capital, poursuit Marisol Touraine. C’est donc normal qu’on le mette davantage à contribution. » Le PS propose de taxer les stock-options, les bonus ainsi que les revenus tirés de l’intéressement et de la participation.

Mêmes réserves chez le libéral Hervé Mariton : « La logique des retraites, c’est de reposer sur des cotisations, pas sur l’impôt, analyse-t-il. La taxation est un accroc à cette logique. »

Solenn de ROYER et Céline ROUDEN

Article original sur le site de La Croix.