De la révolte fiscale des riches | Le Monde

Le Monde | 11 avril 2013

 

Ce fut un crime de lèse-République. Margaret Thatcher avait réussi à gâcher les festivités de François Mitterrand. Les idées anglaises ont précédé les Lumières, et à la veille des cérémonies pharaoniques du bicentenaire du 14 juillet 1789, la Dame de fer avait blessé l’orgueil français.  » Les droits de l’homme n’ont pas commencé avec la Révolution française « , piqua la défunte premier ministre, invoquant la Grande Charte de 1215, le Bill of Rights et la Glorieuse Révolution de 1688, qui marquèrent l’avènement de la monarchie parlementaire.

Margaret Thatcher eût été avisée de profiter des célébrations pour (re)lire l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1 789. Nos pères révolutionnaires édictèrent un sage principe fiscal :  » Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. « 

Or, à cette époque, Margaret Thatcher introduisait sur son île la fameuse  » poll tax « . Cet impôt par capitation, qui réformait l’antique taxe d’habitation, traitait d’égale manière la reine en son château et la famille ouvrière dans sa cité minière. Un an et quelques émeutes plus tard, en novembre 1990, Margaret Thatcher était  » putschée  » par son parti, victime d’une révolte fiscale inédite. La Dame de fer s’est perdue, oubliant que chacun doit payer l’impôt selon ses capacités. Les pauvres comme les riches.

Deux décennies plus tard, François Hollande est à la merci d’une révolte fiscale. Une révolte bourgeoise et non pas populaire, à l’instar de la  » poll tax « , ou populiste, comme celle lancée par Pierre Poujade. Rappelons pour l’Histoire, qu’un jour de juillet 1953, dans le village de Saint-Céré, dans le Lot, le libraire papetier Poujade empêcha manu militari un contrôle fiscal sur des artisans et commerçants. Peu enclins à payer une taxe sur leur chiffre d’affaires qui les défavorisait par rapport aux grandes enseignes naissantes, ces derniers ne profitaient guère de l’Etat-providence mis en place à la Libération. Ils se sentaient exclus de la modernisation en marche et finirent par élire député un certain Jean-Marie Le Pen en 1956.

Non, la fronde du XXIe siècle est celle des riches. En 2009, le philosophe allemand Peter Sloterdijk avait joué les provocateurs, surpris que n’éclate pas la révolte.  » Cette acceptation par la quasi-totalité des populations du diktat de la fiscalité me paraît surprenante quand on songe que, pour la première fois dans l’Histoire, ce sont les riches qui paient en donnant la moitié de leur revenu chaque année, déclarait au Point Peter Sloterdijk. L’égoïsme bourgeois existe, mais la réalité est plutôt marquée par la générosité bourgeoise, et il faut le dire ! «  Il faut le dire vite, alors que sont révélés les agissements de Cahuzac et consorts, pris dans les paradis fiscaux d' » OffshoreLeaks « . La révolte a déjà eu lieu. Longtemps, on a nié l’existence de ces réfugiés fiscaux, fuyant, à partir de 1995, l’ISF, exception bien française, au montant déplafonné par Alain Juppé. Ils n’allaient pas loin : en Suisse, mais surtout à Londres et à Bruxelles. On ne les a pas vraiment pourchassés.

Impossible de sévir comme de Gaulle, qui annexa fiscalement Monaco en octobre 1962 en plaçant six douaniers aux portes du Rocher pour exiger que les Français y paient leur impôt. Au contraire. Depuis les années 1990, avec une liberté de circulation des capitaux devenue totale, l’Europe faisait entendre sa musique dissonante : que la France et l’Allemagne, paralysées par le coût prohibitif de leur Etat-providence, subissent une saine concurrence fiscale, se réforment, et le sujet pourra être rediscuté.

La crise financière est passée par là. Au G20 de Londres, en 2009, l’Europe fit mine de découvrir qu’elle abritait l’essentiel des paradis fiscaux de la planète. Les riches, dans la mythologie socialiste, sont devenus la cause de tous les maux. François Hollande les a attaqués avec des moyens oublieux des droits fondamentaux, telle la taxation punitive de 75 %, censurée par le Conseil constitutionnel. Trop tard, le sentiment d’injustice était là, qui produisit fin 2012 la révolte des  » pigeons « , entrepreneurs plumés avant d’être engraissés et le coup de sang de Depardieu.

Le scandale Cahuzac accentue le climat de guerre civile fiscale. Le fisc, naguère dirigé par le fraudeur en chef, est en quête de rédemption. Il s’annonce sans pitié. Déjà, le nouveau ministre du budget, Bernard Cazeneuve, ose demander à la presse de jouer les officiers de police et de lui fournir les fichiers  » OffshoreLeaks « .

Bercy ne va trouver que ceux restés en France. Rendez-vous est pris avec les classes moyennes-supérieures, ces riches dont François Hollande a dit qu’il ne les aimait pas, ceux qui gagnent plus de 4 000 euros par mois. Une droite  » ultra  » tente de les mobiliser dans des manifestations qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’opposition au mariage gay. Jamais ces  » riches  » ne se sont révoltés en France, pourtant championne des dépenses publiques. Logiquement : gratuité des meilleures écoles, hôpitaux remboursés à 100 %, culture subventionnée, le modèle républicain est très favorable aux classes supérieures.

Mais en temps de disette, il est dans le collimateur du pouvoir. Après avoir taillé dans le quotient familial, tenté d’introduire de légers droits d’inscription dans les classes préparatoires, l’exécutif veut couper les allocations familiales des plus aisés. La ligne de partage des eaux se trouve au revenu mensuel net de 4 300 euros. A ce niveau de salaire, un couple avec trois enfants touche 293 euros d’allocations… et cotise, par l’intermédiaire de son employeur, la même somme à la caisse d’allocations familiales. Tous ceux qui gagnent plus y perdent, avant toute réforme Hollande. On prédit le réflexe de ces familles aisées qui vont finir par trouver le système injuste et rejeter le système français.

 » Eh bien, que les pauvres se démerdent tout seuls !  » L’expression n’est pas la nôtre, mais celle de l’éditorialiste de Rue89, que nous n’oserions taxer, même en ces jours de deuil, de thatchérienne. Outre-Manche, David Cameron a, lui aussi, supprimé cet hiver les allocations pour les familles dont un parent gagne plus de 4 800 euros. Hollande dans les pas de l’héritier de  » Maggie  » ? Mieux vaut en rire.

Arnaud Leparmentier