Voyage au pays des ultra-riches

Aymeric Mantoux, Flammarion, 2010, 300 p.

L’auteur
Journaliste, Aymeric Mantoux est rédacteur en chef adjoint du magazine ‘L’Optimum’ et chroniqueur dans ‘Goûts de luxe’ sur BFM. Il est également l’auteur de plusieurs essais économiques et politiques.

Synthèse
Comment consomment les riches ? Où dépensent-ils leur immense fortune ? Une étude menée auprès de 2400 personnes sélectionnées parmi les 10% des plus riches Américains (et relayée par le magazine Forbes), met en lumière des habitus étonnants. L’influence de ces « ultra-riches » (un club très fermé de 1011 milliardaires, d’après le classement annuel Forbes) est sans égal, et leur mode de vie privilégié fort éloigné de celui des quidams, même si leur fortune a été réduite de 19,5% par rapport à 2009, comme l’indique un rapport de Capgemini Patrimoine et Merrill Lynch.
Dans ‘Voyage au pays des ultra-riches’, qui se lit comme un roman, on rencontre de vieux play-boys qui courent après leur jeunesse, des milliardaires sociopathes, des aristocrates désargentés mais sympathiques, des stars du net et une bonne palanquée d’excentriques. Aymeric Mantoux décrit les somptueuses fêtes organisées par ces happy few. Yachts loués pour accéder aux plus belles plages secrètes, douches de champagne avec des top models comme le milliardaire russe Vladislas Doronin et son amie Naomi Campbell, frais de personnels exorbitants… Il suffit de consulter les factures du mariage de Chelsea Clinton (le ‘New York Daily News’ affichait la somme de 5 millions de dollars) pour se rendre à l’évidence : privatiser le Pont de Brooklyn pour un anniversaire, comme dans la série télévisée ‘Dirty Sexy Money’, ne relève pas forcément de la fiction.
Alors que le taux de chômage de la zone Euro avoisine les 10 %, les ultra-riches sont 20 % de plus que l’an dernier à avoir confiance dans leur « sécurité de l’emploi ». Rien de très étonnant dans un milieu où bien souvent le travail s’hérite plus qu’il ne se mérite (Paris Hilton, Liliane Betancourt, Ivana Trump propulsée directrice de la communication du groupe de Donald, etc). Dans le pire des cas, les ultra-riches comptent sur leur réseau et sur la cooptation en vigueur dans le milieu, entretenue pendant leurs loisirs.
S’ils consacrent une grande partie de leur fortune aux loisirs, il ne s’agit pas pour autant de détente. Rallyes et autres bals des débutantes permettent de se rencontrer, et repérer son semblable du sexe opposé afin d’éviter les mésalliances. Les clubs de loisirs comme le Jockey Club ou l’Automobile Club sont réservés aux ultra-riches de la bonne société. Avec un droit d’entrée à plus de 500 Euros, un siège à deux pas des Champs-Elysées et des activités payantes, adhérer au Jockey Club demande un solide pouvoir d’achat. Ses quelques 1100 membres se retrouvent entre soi, avec des familles richissimes et des descendants de nobles comme la famille Beaumont-Baynac, entre autres. C’est l’endroit idéal pour parler affaires ou pour cultiver son réseau.
Fourmillant d’anecdotes, le livre raconte comment les contribuables les plus fortunés ne sont pas toujours les plus imposés, grâce au « paquet fiscal » concocté spécialement pour eux et aux innombrables niches fiscales, maquis qu’eux seuls ont les moyens de démêler. Un manque à gagner pour l’État estimé à 73 milliards d’euros.

Citations et exemples
Découpage du livre : chaque chapitre est consacré à une dépense caractéristique de la consommation des ultra-riches : 1-La chasse ; 2&3-La voile et le yachting ; 4-Les vignobles ; 5-L’or vert (huile d’olive, truffe) ; 6-Le sport ; 7-La presse comme danseuse des richissimes ; 8-Châteaux et villas ; 9-L’art ; 10-Les automobiles ; 11-Le hippisme

  • p.47 : un paragraphe sur la Maxi-Yacht Rolex Cup, épreuve réservée aux voiliers les plus grands et les plus rapides, à Porto Cervo en Corse. 43 des plus incroyables yachts contemporains à voile, entre 25 et 88 m. La plus belle concentration de Wally, les ‘Rolls des voiliers’. Parmi les heureux possesseurs : Nicolas Seydoux, Antoine Guichard, Christophe Bonduelle, Gallimard, Jean-Charles Decaux…
  • p.52 : Alain-Dominique Perrin, autre amateur de yachting, longuement interviewé par l’auteur, sur sa participation à des régates
  • p.60 : « L’aspect fiscal et patrimonial n’est pas à négliger dans la passion des millionnaires pour le bateau. Il existe des dispositions fort intéressantes pour leurs propriétaires. Placements défiscalisés dans les Dom-Tom, achats de voiliers dans les paradis fiscaux (loi Pons du 11 juillet 2986). »
  • p.67 : « On estime aujourd’hui à environ cinq cent le nombre de voiliers classiques qui naviguent dans l’Atlantique et en Méditerranée. ‘Dans les années 2003-2008, il y a eu un affolement du marché’, relève Christophe Varène, rédacteur en chef du magazine Yachting classique. ‘La demande est nettement plus forte que l’offre, puisqu’il n’y a presque plus de bateaux à rénover.’ (…) Le cœur du marché se déroule aujourd’hui autour de un million d’euros l’unité, les plus grands pouvant atteindre 100 millions d’euros. »
  • p.90 : « Depuis le début des années 2000, la construction de yachts de luxe a explosé. Les chiffres demeurent irrésistiblement têtus malgré la crise financière. Selon les statistiques de Camper&Nicholson, courtiers en yachts, les commandes pour des palaces flottants de plus de 10 millions de dollars ont augmenté de 18 % en 2008. Il y aurait même une pénurie de main-d’œuvre. Vingt-cinq mille capitaines, membres d’équipage et mécaniciens sont requis pour répondre à la demande exponentielle. Philippe Guglielmetti, PDG de l’armateur breton Arcoa : ‘Notre clientèle est européenne, issue de grandes familles peu sensibles à la crise. Ce ne sont pas des gens qui ont des fortunes énormes, ils ont un patrimoine autour de 200 millions d’euros qui leur permet d’acheter nos bateaux.’ » « En août 2007, lorsque le sultan d’Oman est arrivé à Palerme pour les vacances, il n’est pas passé inaperçu puisqu’il était suivi d’un bateau contenant 22 Mercedes blindées et deux hélicoptères, accompagné du yacht de 154 m du sultan et d’une corvette armée de missiles. Sans oublier les avions pour amener le sultan et sa suite, plus de 600 personnes. »
  • p.138 : notaires, gestionnaires de patrimoines et family office (FO), indispensables au mode de vie des riches, quelques explications sur les services qu’ils rendent – contre quelques millions d’euros… Certains FO exigent un ticket d’entrée de 50 millions d’euros de patrimoine financier !
  • p.202-4 : les riches aiment les vieux châteaux, de Pierre Cardin à Lacoste, au château de Ferrières des Rothschild, en passant par Champ-de-Bataille de Jacques Garcia, la collection de châteaux de Bernard Magrez dans le Médoc… Citation des Pinçon-Charlot : « Le château qui incarne la durée et la tradition est toujours un emblème de l’excellence sociale. Le château, cela représente de l’argent, de la culture, de l’éducation, c’est aussi le lieu où l’on peut recevoir, donc entretenir ses réseaux relationnels. Ce qui explique que l’actuelle aristocratie de l’argent marque sa réussite par l’acquisition de ce type de biens. »
  • p.214 : mieux qu’un château, une île, celle de Richard Branson aux Antilles, Coppola, Peugeot au Kenya, Caroline de Monaco, Bernard Arnault aux Bahamas…
  • p.233 : « Selon Eric Brunet, les millionnaires investissent 25 % de leur fortune dans l’art par souci de diversification patrimoniale, plus que par passion. » « ‘S’entourer d’art, voilà la vraie richesse’, assure le grand marchand et collectionneur suisse Ernst Beyeler. Beaucoup de gens qui ont réussi dans les affaires y trouvent un sens à leur quête de postérité. »
  • p.244 : « Les riches collectionneurs de voitures anciennes ou de sports mécaniques se recrutent en nombre dans l’Hexagone. Musées privés à Reims, Puteaux ou Mulhouse, circuits privés de Formule 2, circuit Paul-Ricard… village-musée de Lohéac. (…) Les véhicules de collection ne sont pas assujettis à l’ISF car ils sont assimilés à des œuvres d’art. Il suffit que l’auto ait appartenu à une personnalité célèbre, participé à un événement historique, soit dotée d’un palmarès sportif international, ait été utilisée seulement en compétition, soit éditée en série limitée ou qu’il en reste moins de 2 % des exemplaires produits en circulation » !
  • p.256-7 : « Il n’y a jamais eu autant de jets d’affaires qu’aujourd’hui. Selon Eurocontrol, le nombre de jets existants, 1700, va doubler d’ici à huit ans, la demande reste forte, notamment de la part des entrepreneurs et des ‘working class millionnaires’. » « Un jet privé, après tout, ne coûte qu’entre 4 et 40 millions de dollars. Un Falcon F 2000 coûte 20 millions d’euros, pour voyager jusqu’à 7 000 km, mais les frais d’entretien sont astronomiques : 40 000 euros pour changer la moquette, 150 000 pour la peinture du fuselage, 8 000 euros par siège… Une tonne de carburant pour parcourir 1 500 km… Decaux, Bolloré, Arnault, Dassault, Frère, Magrez, tous possèdent un jet.
  • p.260 : les milliardaires américains et la conquête de l’espace, ‘Spaceship One’, Guy Laliberté premier touriste de l’espace pour 35 millions de dollars.