Qui mérite d’être riche ? | L’Express

Par Jacques Attali, publié le 06/08/2012 à 10:57

Si le prochain budget décide de reprendre 75% de ce qui est gagné au- dessus de 1 million d’euros, cela signifiera qu’il redevient impossible, dans notre pays, de faire fortune.

Cette éternelle question, aussi ancienne que l’humanité, a trouvé à travers le temps des réponses changeantes. Les rois, les princes, les seigneurs, les généraux, les chefs d’Eglise ont toujours été riches. Souvent l’ont été, avec eux, certains de leurs ministres, hauts fonctionnaires et créanciers, tels les fermiers généraux. Parfois l’ont été aussi une partie de leurs fournisseurs: artistes, devins, cuisiniers, architectes, jardiniers. La richesse se traduit alors par l’achat de terres et la construction de châteaux.
Avec l’économie de marché, et pour l’essentiel dans des villes portuaires, on vit apparaître de nouvelles fortunes, venues de l’entreprise et de la prise de risque. En Occident, cela commence avec le protestantisme, qui retrouve les valeurs du judaïsme, pour lequel le scandale, c’est la pauvreté et non la richesse. Alors que, pour l’Eglise catholique, c’est exactement l’inverse. Ainsi, la France a perdu toute chance d’abondance quand, en 1685, le roi Louis XIV, sous les applaudissements unanimes, chassa les protestants du pays en abrogeant l’édit de Nantes, promulgué par son grand-père Henri IV.
Très vite, dès lors, s’est posée la question de l’écart de revenu acceptable: de 1 à 20? à 40? ou, comme aujourd’hui, de 1 à plus de 500? En France, le débat rebondit cet été avec la discussion sur la taxation des plus hauts revenus. Il est clair que si le prochain budget décide de reprendre 75% de ce qui est gagné au-dessus de 1 million d’euros, cela signifiera qu’il redevient impossible, dans notre pays, de faire fortune.

Départ des cadres, des artistes, des entrepreneurs 
Ce sera une deuxième révocation de l’édit de Nantes, avec les mêmes conséquences: départ des cadres, des artistes, des entrepreneurs; à terme, déplacement des sièges sociaux des entreprises à Londres et à Bruxelles. Alors, la France ne sera plus qu’une filiale parmi d’autres de ces firmes, et l’emploi n’y sera pas protégé. Tout le monde y perdra, comme dans la France du xviiie siècle. On peut le regretter, mais c’est ainsi: nul n’est enfermé dans des frontières.
Si, en revanche, comme on peut l’espérer, la mesure porte sur chaque part imposable et tient compte de la CSG et de la CRDS, l’Etat ne prendra que 60% de ce qui est gagné au-dessus de 3 millions d’euros, pour une famille ayant deux enfants. Et les plus- values à long terme, ainsi que les revenus des artistes, ne seront pas concernés.
Une telle imposition serait tolérable. Et utile, si elle se limitait à une durée de deux ans, pour compenser les formidables cadeaux accordés aux plus riches dans la décennie précédente.
En même temps, il faut se poser la question de la façon dont se forment les revenus. Pourquoi les traders et les footballeurs sont-ils mondialement les mieux payés? Dans l’entreprise, une plus grande transparence, avec l’association des actionnaires et des syndicats à la fixation des rémunérations des dirigeants, réduira les scandales, qui voient des patrons augmenter leurs salaires quand ils licencient ou quand baisse le cours de Bourse de leur société.
Au-delà, il faut réfléchir à ce que signifie, pour une société, d’être incapable de retenir ses élites, devenues des mercenaires de passage. Tant que le marché fixera les valeurs, sa logique s’imposera.